Prologue
Octobre 1880, Shosei-en, Kyoto
Une silhouette encapuchonnée s’avance à travers les jardins de Shosei-en[1], il fait nuit, la lune est haute dans le ciel et il fait particulièrement froid pour une soirée automnale. Aucun son ne retentit dans l’obscurité mis à part le bruit des pas de la personne qui avance entre les érables et les pins rouges. La silhouette poursuit son chemin et traverse un pont en bois pour atteindre la rive située de l’autre côté de l’étang, c’est à ce moment-là qu’elle croise un couple, une femme aux cheveux châtains et un homme à la chevelure de jais. La silhouette s’arrête soudainement, prise sur le fait, le couple la contemple, effaré, comme s’ils avaient aperçu un fantôme.
La petite fille dans les bras de la silhouette, jusqu’ici inconsciente, se met soudainement à gesticuler, elle regarde le visage de la personne qui la porte et pousse un cri qui fend l’obscurité. Elle essaie de se débattre, mais la silhouette ne relâche pas sa prise. Le jeune couple figé jusqu’alors essaie de s’approcher de la silhouette, mais un jeune homme aux cheveux blonds apparaît et les invite à s’éloigner. Le jeune couple semble presque soulagé de le voir, pourtant sa seule présence n’a rien d’ordinaire. Son physique est atypique, sa carrure ne ressemble pas à celle des Japonais, et ses longs cheveux ambrés resplendissent dans la nuit.
La silhouette, qui jusqu’ici n’avait pas parlé, demande à l’homme blond ce qu’il fait ici. Ce dernier lui intime de relâcher la petite fille qu’elle tient dans ses bras. La silhouette semble hésiter, mais la voix du jeune homme retentit dans son esprit comme un avertissement. La silhouette comprend alors que l’homme qui lui fait face n’est pas plus humain qu’elle et que la télépathie n’est sûrement pas son seul pouvoir.
La silhouette lui demande alors ce qu’il compte faire de la fillette. L’homme ne lui répond pas, il se contente de la fixer de ses yeux couleur émeraude. La silhouette s’approche de l’homme qui lui fait face et lui tend la jeune fille. Cette dernière tend immédiatement ses bras vers l’homme lui fait face, comme si elle le connaissait. L’homme aux cheveux blonds saisit la fillette, la silhouette recule et son rire féminin retentit dans l’environnement proche. Elle toise l’homme qui lui fait face et lui dit que la petite fille ne la dérangera plus jamais, car elle ne possède plus aucun pouvoir. L’homme frémit, la silhouette disparaît.
L’homme aux cheveux blonds regarde la fillette et cette dernière ne peut s’empêcher de l’observer à son tour. Des larmes roulent le long des joues roses de la petite fille aux cheveux châtains. L’homme blond la fixe, comme s’il venait de comprendre quelque chose. Il se retourne vers le couple qui assiste à la scène depuis le départ et leur adresse un regard larmoyant. « Je ne vous ai jamais rien demandé, mais j’ai besoin que vous m’accordiez une faveur. Je ne peux pas la ramener auprès de mes parents, je ne sais pas ce qui lui a fait cette maudite femme, mais elle est devenue humaine. Il faut que je comprenne ce qui se passe, et je n’y arriverais pas si je dois veiller sur elle. J’aimerais que vous preniez soin d’elle comme vous avez pris soin de moi. Je reviendrais la chercher dès que je pourrais ou si vous avez besoin de moi. »
La femme aux cheveux châtains contemple l’homme aux cheveux blonds et lui adresse un regard rempli de compassion avant de lui demander s’il est sûr de lui.
- « Cette décision me brise le cœur, mais je n’ai pas le choix. »
Il regarde la fillette et lui embrasse le front avant de la déposer au sol. La femme aux cheveux châtains s’agenouille au niveau de la fillette et lui indique qu’elle s’appelle Haruka avant de lui demander son nom. La petite fille regarde l’homme aux cheveux blonds et répond qu’elle s’appelle Anane. Le mari de Haruka regarde l’homme aux cheveux blonds, ils échangent un regard, puis l’homme aux cheveux blonds disparaît. La fillette témoin de la scène se met soudain à pleurer à chaudes larmes. Haruka prend Anane dans ses bras et regarde son mari.
- « Elle a l’air particulièrement attachée à Yutaka, je ne sais pas comment la consoler. »
L’homme aux cheveux de jais prend la main de la fillette et lui dit qu’il s’appelle Ren et qu’elle n’a rien à craindre d’eux, qu’ils ne lui feront aucun mal. La fillette renifle et lui répond d’une petite voix qu’elle ne se souvient de rien mis à part son nom.
Ren et Haruka échangent un regard, après tout, les histoires de yokaïs[2] dépassent de loin l’entendement des humains.
[1] Jardin situé à Kyoto, au Japon
[2] Type de créatures surnaturelles du folklore japonais. Elles sont souvent représentées comme des créatures malfaisantes ou malicieuses.
