Aujourd’hui, il neige, le paysage est recouvert de cette couleur blanche qui me paraît si nostalgique. Il n’y a personne aux alentours, il est encore très tôt et pourtant je sors de chez moi. Je marche d’un pas décidé vers l’arrêt de tramway situé à la rue adjacente de mon appartement. Aujourd’hui, est sûrement un jour totalement banal pour le reste de la population mais pas pour moi. Aujourd’hui, c’est peut-être le commencement d’une nouvelle vie. Le tramway arrive, je scanne ma carte d’abonné sur le lecteur et je m’installe. Il n’y a que quelques personnes, bien emmitouflées dans leur manteau et leur écharpe. Certains écoutent de la musique, perdu dans leur rêverie, d’autres lisent le journal, certains jouent sur leur téléphone, d’autres vont sûrement travailler et sont déjà fatigués de leur journée. Tout un chacun fait ce qu’il a à faire ou ce dont il a envie, moi y compris. Je regarde les bâtiments de la ville défilés sous mes yeux au fur et à mesure des arrêts. J’arrive enfin celui où je m’arrête.

Je passe les portes, je regarde l’heure, 9h57, il me reste quelques minutes, juste le temps dont j’ai besoin pour me rendre là où je dois aller. Juste le temps que mon cœur affolé se calme. Je marche dans la rue, je traverse la route, et je suis devant la librairie. Alors que j’attends, j’ai l’impression d’être observée, la propriétaire arrive à la porte et je n’y prête plus attention. Elle ouvre sa boutique, je la salue et rentre au chaud. L’hiver est glacial et pourtant je suis en sueur. Pourquoi suis-je là me direz-vous ?
La raison est toute simple, je cherche un livre, je ne cherche pas un livre banal, je cherche le livre qui fera chavirer mon cœur quand je le verrais. Je cherche ce livre qui va provoquer tant d’émotions chez moi, ce livre qui me fera rire, pleurer et que je chérirais comme un trésor. Je parcours les rayons des yeux, cherchant le genre qui m’intéresse, polar, documentaire, grand classique, science-fiction, fantastique… Les mille couleurs de tous ces livres agressent mes yeux, chacun d’entre eux est le produit du travail de quelqu’un. Chacun d’entre eux, espère être vendu, procurer à son auteur la joie de savoir qu’un lecteur lit son livre. Et pourtant même en sachant cela, mon regard ne s’éternise pas sur eux. Il n’y en a qu’un seul qui m’intéresse. Petits ou grands, épais ou fin, je n’arrive pas à le trouver parmi eux. A la fin du rayon, je vois ce promontoire, qui met en valeur plusieurs livres sélectionnés par la librairie comme leurs favoris. Est-il est parmi eux ? Impossible, il vient de sortir aujourd’hui. Mes yeux cherchent, et ils trouvent, cette couverture bleu saphir, cette écriture fine et légère, Anane Sanny. C’est celui-ci.

Un nom sur une couverture, ainsi qu’un sous-titre : Le monde des Yokaï, il n’y pas d’image, le livre est simple et pourtant…Mon cœur s’arrête probablement l’espace d’un instant, il est là, juste devant mes yeux, je l’attendais depuis des années et il est enfin arrivé. Les larmes me montent aux yeux sans que je puisse les retenir et je m’en saisis. Je reste obnubilée devant le livre que j’ai en main, et alors que je consulte le synopsis – l’histoire d’une fille banale découvrant qu’elle n’était pas humaine, mais une princesse yokaï (un démon japonais) et qu’elle appartenait à un autre monde. Ce qui est assez drôle, c’est que je ressens la même chose, cette impression de ne pas être à ma place… Comme si, j’avais une autre vie ailleurs, plus palpitante que celle-ci, vivant des aventures étranges… Enfin, ce n’est sûrement que mon imaginaire paranoïaque…
La clochette de la porte signifiant l’entrée d’un client retentit. Je reviens à la réalité, sèche mes larmes et me dirige vers la caisse. Je ne pensais pas que voir mon livre me rendrait aussi heureuse, mais en même temps, je me sens un peu mélancolique, je me demande pourquoi ? La vendeuse me sourit, « c’est un très bon livre » me dit-elle, « je l’ai lu dès qu’on l’a reçue, je n’avais jamais entendu parler de cette auteure, mais son écriture est incroyable, l’histoire est tellement intéressante et prenante. Tout à fait singulière, j’ai vraiment hâte de lire la suite ». Un sourire que je lui rends. D’une certaine manière, ces 2 petites phrases font parties des plus belles que je n’ai jamais entendues.
- « Je pense que ce livre est une merveille, je l’attendais et j’ai hâte de le lire » Lui dis-je.
Chose qu’elle approuve. Et alors qu’elle cherche le code barre, elle ouvre la première de couverture.
C’est la page de présentation de l’auteur, ainsi que sa photographie, la libraire relève les yeux vers moi. Sûrement aussi chamboulée que je l’étais, je lui adresse un sourire gêné et détourne le regard. Elle a sûrement compris, car elle prend le livre, me dit le prix, je paie. Je lui souhaite une bonne journée et alors que j’allais partir, elle me retient : « Pourriez-vous me signer un autographe ? » me demande-t-elle. Oui, j’aurais dû m’y attendre, mais comment lui refuser ? Aujourd’hui, restera sûrement marqué comme le début de cette nouvelle aventure. Je prends le livre, l’ouvre et signe de cette même écriture raffinée, A.S, la même que celle de l’auteur.
Après avoir bien attiré l’attention, je prends mon sac posé sur le comptoir, avec mon livre à l’intérieur, et je m’échappe. Signer un autographe ne me gêne pas (bien que cela soit très étrange), mais que la vendeuse parle de moi devant tout le monde dans la librairie est vraiment embarrassant. Je n’aurais jamais dû accepter que mon éditeur mette une photo de moi dans mon livre. Je rejoins l’arrêt de tramway pour rentrer chez moi.
Confortablement installée sur un siège, je pense que je vais essayer de me faire discrète pendant un moment, et ne plus aller dans cette librairie. Savoir que j’ai déjà une fan me ravit, de même que les compliments qu’elle a fait à propos de mon livre. Néanmoins, je ne m’attendais vraiment pas à ce que mon livre soit dans leur favori, je n’y aurais jamais songé. Le simple fait que mon livre est était retenu par mon éditeur et qu’il ait été publié, m’a permis de réaliser mon plus grand rêve. Je ne pouvais pas espérer mieux, je ne pensais même pas au succès. Je rêvais juste de voir mes initiales sur un livre depuis toute petite. J’ai l’impression d’être en feu, et que tout le monde me regarde. J’arrive à mon arrêt et rentre en vitesse à mon appartement. Je pose mes clés, me prépare un thé et puis je m’installe dans mon canapé avec mon coussin moelleux.
Je pousse un soupir de soulagement, je cherche mon sac, je pensais l’avoir posé sur la table… Enfaites, il était sur le canapé, je sors mon livre du sac, enfin, ce que je croyais être mon livre. Alors que je le saisis, je me rends compte que ce n’est pas le livre que j’ai acheté et encore moins celui que j’ai écrit. Non, le livre entre mes mains est celui d’une certaine Wendy Delorme, nominée pour la rentrée littéraire. La couverture est blanche, le titre écrit en noir et reflétée sous forme de miroir est Le Corps est une chimère. Je lis le synopsis, une histoire qui lie plusieurs personnes, sept selon le synopsis, toutes différentes. J’attrape ma tasse de thé et je réfléchis.

Aurais-je le courage de retourner à la librairie chercher mon livre et attirer l’attention des clients à cause des remarques de la vendeuse ? Non, sûrement pas. Je suis bien ennuyée, non seulement j’ai acheté un livre que je n’ai pas voulu, mais en plus j’ai privé quelqu’un de son livre par mégarde. Moi qui attendais impatiemment de pouvoir le relire sous une véritable forme de livre – je l’avais emmenée sous forme de manuscrit à mon éditeur – me voilà bien déçue. Et pourtant, ce livre m’intéresse. Peut-être était-ce un signe du destin ? Mon livre devait être échangé avec celui-ci pour que je le lise. Il faut dire que les coïncidences s’enchaînent au niveau de mes lectures ces temps-ci. Les dix derniers livres que j’ai lus sont arrivés par hasard entre mes mains, comme si quelqu’un cherchait à me les faires lire…
De toute façon, je n’aurais pas le courage de ressortir aujourd’hui, alors autant en profiter pour au moins lire celui-ci. Qui sait, peut-être deviendrais-je moi aussi fan ? Même si je suis critique littéraire, je suis un lectorat facile à combler. Et oui, je n’ai pas toujours été auteure, Anane Sanny est mon premier roman, ma véritable profession appartient aussi au monde de la littérature, mais en tant que critique. Ce n’est pas toujours facile de se mettre à la place d’un lecteur quand on écrit soi-même, mais qui sait, peut-être que Le Corps est une chimère m’inspirera mon prochain article ?
J’étais en train de feuilleter les premières pages du livre, le titre, l’édition, lorsque j’ai reçu un appel. J’ai regardé mon téléphone, c’était mon éditeur, et soudain j’ai pris peur. J’ai décroché avant qu’il ne tombe sur ma boîte vocale.
- « Bonjour, Ana, comment ça va ? » me demanda-t-il avec sa bonne humeur habituelle.
Je lui répondis que ça allait jusqu’à ce qu’il me stresse avec son appel, mais aussi l’aventure qui m’était arrivé ce matin à la librairie. Plus je lui détaillais ma matinée, plus il rigolait à l’autre bout du téléphone, ça m’agaçait profondément. Lorsque je lui répondis que j’allais raccrocher s’il continuait, il me dit encore mort de rire :
- « Ne t’inquiète pas de toute façon tu vas recevoir ton livre par courrier dans la semaine. Bon maintenant il est temps que je te dise pourquoi je t’appelle. »
Mon cœur fit un bond, pourquoi fallait-il qu’il me stresse ainsi ?
- « Je voulais te dire que ton roman se vend comme des petits pains, c’est rarissime pour un premier livre, après je ne dis pas que c’est un best-seller non plus, mais il se vend plutôt bien. »
Je m’attendais à tout sauf à ça.
- « Tu es en train de me faire une blague c’est ça ? » lui répondis-je.
- « Mais non, je t’assure, tu veux que je t’envoie les graphiques de vente de nos librairies pour te le prouver ? » me dit-il.
- « Non, non je te crois » lui répondais-je abasourdie « Je suis seulement surprise, très surprise. ».
Ce à quoi, il rigola de plus belle.
- « Tant que j’y suis, j’aurais une question pour toi. Il semblerait que tes lecteurs apprécie beaucoup l’un de tes personnages principaux, Daiki. S’inspirerait-il de l’homme que tu aimes ? »
J’étais peut-être à l’autre bout du téléphone mais j’ai rougis, je le sentais.
- « Non, je n’ai personne de ce genre-là dans ma vie. » Lui répondis-je.
Ce à quoi, il me dit qu’il rappellerait plus tard et raccrocha. Et me voilà maintenant, à nouveau chamboulée. A cause de mon livre mais aussi par la question de mon éditeur, non je n’avais personne dans ma vie mais oui Daiki, mon personnage, était inspiré de quelqu’un pour qui j’avais des sentiments. Un de mes collègues, Dean, il n’est pas critique littéraire mais journaliste d’actualités, mais il y a quelque chose chez lui qui m’attire, comme si à chaque fois qu’il me regardait, il savait tout de moi. Une sorte d’aura omnisciente. Cette journée allait être longue…
Alors que je reprenais mon livre en main et que j’allais commencer à lire pour me changer les idées, je me suis alors demandé si ce livre aussi était le premier de son auteur ? Selon la page qui m’indiquait ses autres œuvres, il semblerait que non. Stressait-il ou elle autant que moi ? Peut-être. Et puis je me suis demandé ce que j’attendais de ce livre. Je ne l’avais même pas voulu, qu’allait-il me raconter ? Certes le synopsis me donnait une idée de ce à quoi m’attendre, j’allais probablement suivre l’histoire de différentes personnes, des personnes qui travaillent, des couples et leurs problèmes au quotidien, le problème des enfants, de leur vie amoureuse, de leur sexualité, de leur travail, de leur difficulté financière peut-être. Je ne savais pas exactement, peut-être allais-je m’attacher aux personnages, peut-être pas ? Je me demandais également quel pouvait être le lien entre toutes ces personnes ? Ce n’est pas en me posant toutes ces questions que je trouverais une réponse.
Je me penchais sur la page et lu le titre : « Prologue la veillée » ainsi que la première phrase du texte « Les yeux sont clos, le maquillage soigné. » Quelle entrée en matière étrange, lorsque les yeux sont clos, on est en général endormi, mais on ne dort pas en étant maquillé, voilà qui est très paradoxal. Qu’est-ce qui a bien pu arriver au personnage pour qu’il dorme en étant maquillé ? Se serait-il endormi sans s’en rendre compte ? Se serait-il évanoui ? Ou bien peut-être ne dort-il pas ? Le titre parle de « veillée », peut-être que le personnage a du resté éveillé toute la nuit et s’est assoupi tellement il était fatigué ? Mais qu’a-t-il bien pu lui arriver durant cette nuit ? Veille-il un de ses proches, malade ? Ou bien aurais-je totalement faux et le personnage décrit serait-il mort ? Et la veillée ferait alors référence à une veillée funéraire ? Cette entrée en matière serait étonnante ! Cela me donne encore plus curieuse de savoir la suite, il faut dire que je ne suis pas une lectrice très patiente.
J’allais enfin commencer ma lecture, fermement décidée à connaître la suite lorsque mon téléphone a sonné de nouveau. C’était mon chef de service, et comme il n’appelait jamais, ça ne sentait pas bon. Je décrochais à contre cœur.
- « Oui, allô ? » dis-je.
- « Oui, ici Éric, je vous appelle à propos de votre critique. Je n’ai pas eu de nouvelles ou même de brouillon et nous sommes censés publier demain je vous rappelle, qu’est-ce qui vous arrive vous qui êtes toujours en avance, sérieuse et appliquée ? »
C’est à ce moment-là que je me suis rappelée quel jour on était. Aujourd’hui nous étions mardi, et mardi est le jour avant mercredi, mercredi étant le jour où je publie mes critiques de livres… Oh mon dieu, j’avais totalement oublié !
- « Oui, excusez-moi j’ai été débordée par un projet personnel, je termine ça tout de suite et je vous l’envoie. » Lui répondis-je.
- « J’attends de vos nouvelles alors, je vous donne jusqu’à 14 heures Ana, après cela l’imprimerie va nous enguirlander. »
Et il raccrocha. Je me précipite vers mon ordinateur pour regarder quel livre m’a été imposé cette semaine – car oui ce n’était pas moi qui décidais mais bien mon chef, et ses critères étaient précis, « il faut que le lectorat soit satisfait » disait-il toujours. J’ouvre ma boîte mail et constate que j’ai bien reçue l’information depuis 5 jours, j’ai vraiment été à côté de la plaque pour oublier de faire mon propre travail. J’étais tellement préoccupée par mon roman… Donc cette semaine mon thème est… la rentrée littéraire… Voilà une grosse coïncidence, mais même en admettant que j’ai déjà le livre et que je n’ai pas à sortir l’acheter, je n’ai pas le temps de le lire, que faire ? Je ne peux tout de même pas inventer une critique à propos de ce livre… Mais ai-je vraiment le choix ? Il est déjà quasiment midi et je dois le rendre avant 14 heures ! Je suis dans la panade ! Je ne vais pas avoir le choix… Voilà qui est bien ironique, une critique littéraire qui ne lit même pas l’œuvre qu’elle doit présenter… Mais malheureusement, je crois qu’il va falloir faire avec. Je prends le livre en question, qui me servira tout de même, je suis sincèrement désolée pour l’auteure mais j’en ferais une critique positive tout de même, pour au moins me faire pardonner de faire semblant de l’avoir lu, et ensuite je le lirais.

« Le corps est une chimère de Wendy Delorme est un livre qui s’inscrit très bien dans les mœurs de notre époque, l’idée de superficialité en est surement l’un des points clés. Son roman commence de manière assez originale avec un zoom sur l’un des 7 personnages dont parle le livre, qui semble endormi mais maquiller, quoi de plus ironique ? Il faut dire que les seuls moments où une femme se retrouve à dormir encore maquiller signifie qu’elle n’a pas passée une très bonne nuit ou en tout cas qu’elle fut courte et qu’elle s’est assoupie à cause de la fatigue. Ou bien tout simplement que cette femme est morte ? Ce qui est une entrée en matière des plus inhabituelles. L’auteure rentre ainsi directement dans un quotidien qui semble chaotique et qui permet sûrement à n’importe quelle lectrice ou lecteur de s’identifier au personnage. Qui n’a jamais été confronté à la mort ? C’est à travers ce quotidien brisé que repose toute la créativité de l’auteure, au milieu de ces histoires de la vie courante, évoluent ces personnages auxquels on s’attache très rapidement. Entre amour, sexe et vie de famille, chacun peut retrouver un peu de soi dans cette œuvre. C’est sûrement ce qui rend cette œuvre très agréable à lire, elle nous rappelle qu’à chaque fois qu’un pépin nous tombe dessus, c’est pareil pour tout le monde. L’idée et le concept ne sont pas nouveaux, on a déjà eu des histoires similaires en film avec Love Actually par exemple, mais l’auteure à cette manière de raconter qui nous laisse scotcher jusqu’au bout à son œuvre et à la fin la seule chose dont on a envie c’est d’en lire plus, d’en savoir plus sur ces personnages, parce qu’on s’est accrochés à eux. En résumé, si vous devez lire un livre à cette rentrée littéraire, qui vous plaira, ne vous demandera pas trop de complexité à lire et qui se lit facilement, optez pour celui de Wendy Delorme, c’est une perle rare. »
Ce après quoi je poussais un soupir de soulagement, j’avais pondu une critique sur un livre que je ne connaissais pas en restant générale et floue, j’avais réussi. Mais quelle heure est-il ? 12h30. Mieux vaut envoyer cette critique au plus vite, mon chef est loin d’être patient et puis, je commence à avoir faim.
14h50, appel de mon patron. J’avais bien envoyé mon article, n’est-ce pas ? Je me suis assoupie… Ou alors, est-ce qu’il a compris que j’ai fait cela sans même avoir lu l’œuvre en question ? Je décroche avec appréhension.
- « Oui, Allô Ana, je viens de lire votre critique, ça fait un moment que je me pose la question mais maintenant j’en suis presque sûr. C’est vous qui écrivez ces livres n’est-ce pas ? »
Gros blanc, de quoi est ce qu’il parle ?
- « Excusez-moi chef, mais je n’ai pas bien compris ce que vous vouliez dire ? »
- « Ah vous faites l’innocente, enfin vous n’avez pas entendu les rumeurs qui circulent au bureau et un peu partout dans le milieu littéraire ? Même sur internet ! C’est un scandale ! »
- « Non, je n’ai rien entendu désolée. »
- « Il y a beaucoup de livres, la majorité de ceux sur lesquels vous avez écrit des critiques, qui sont soupçonnés de faux. On dit qu’un mystérieux auteur prend des pseudonymes d’autres auteurs pour publier ses œuvres. »
- « Attendez, vous pensez que c’est moi ? Et que j’écris des critiques sur ces livres pour mieux les vendre ? Je suis vraiment déçue que vous pensiez ça de moi. »
- « Alors ce n’est vraiment pas vous ? »
- « Non, ce n’est pas moi, le seul roman que j’ai écrit porte mes initiales, croyez-le ou non. »
- « C’est tout de même une drôle de situation Ana, vous ne pouvez pas le nier. »
- « Oui, en effet. Ce qui est le plus étrange c’est que les livres dont j’ai fait la critique récemment me sont tous venus par hasard. Le dernier a été échangé à la librairie par erreur avec celui que je voulais, celui d’avant je l’ai reçu par courrier en récompense d’un concours auquel je n’ai jamais participé, et celui d’encore avant m’a été recommandé par mail, dans le courrier d’une lectrice. Je me demande si ce n’était pas intentionnel… »
- « Comment ça par hasard ? Vous voulez dire que quelqu’un vous a fait parvenir ces livres pour en faire des critiques ? » Puis il reprit, « En effet, cela aurait été une bonne idée pour mieux les vendre, mais dans ce cas qui est-ce ? »
- « C’est ce que j’aimerais bien savoir… Je vais essayer de remonter la piste en commençant par la librairie ou j’étais ce matin. »
- « Tenez-moi au courant, en tant que rédacteur de journal, cette histoire est des plus intéressantes si on arrive à prouver qu’elle est vraie. Vous voulez que je vous envoie un journaliste pour enquêter avec vous ? Vous vous entendez bien avec Dean il me semble ? »
- « Oui en effet, il pourrait m’aider, merci chef, je vous recontacte. »
Eh bien voilà que je me lançais dans une enquête policière, je ne savais pas que j’avais des talents de détective. Mais, cette histoire me paraît des plus douteuses et il est hors de question que je porte le chapeau dans cette affaire. J’enfile ma veste, je prends mon sac à main et au moment de sortir, j’entends quelque chose tomber. Mon cœur, s’arrête un instant, c’est juste le livre de ce matin, d’ailleurs je ferais mieux de le prendre. Je sors et j’appelle Dean, pour qu’il me rejoigne à la librairie, cette histoire commence à me faire froid dans le dos.
J’ai pris le tramway, je réfléchissais en faisant des recherches sur Wendy Delorme, une personne bien mystérieuse… Professeure et actrice, mais en même temps, une personne aux multiples facettes capable de jouer un homme comme une femme, elle utilisait sûrement un pseudonyme. Aucune de ses photos ou aucun élément de sa vie privée ne ressurgissaient dans la vie publique. Je descends du tram, Dean est là, je le reconnais facilement parmi la foule avec ses cheveux blonds et son costume, le parfait journaliste.
- « Salut, Ana, alors si tu m’en disais plus sur cette affaire ? »
Question à laquelle je répondis aussi efficacement que possible.
- « Alors attends, quelqu’un s’amuse à te faire publier des critiques de livres pour faire de la publicité à ses propres œuvres ? C’est une stratégie qui doit être payante avec le nombre de personnes qui lisent tes critiques ! »
- « Je ne sais pas, mais je ne vais pas me laisser faire aussi facilement. »
Nous sommes rentrés dans la librairie, et j’ai directement reconnu la libraire de ce matin.
« Excusez-moi, vous vous rappelez de moi, n’est-ce pas ? Je suis venue acheter mon livre à sa sortie ce matin, et en rentrant chez moi, je me suis rendu compte que mon livre avait était échangé. Vous avez bien joué la comédie avec moi… » Dis-je en lui montrant le livre en question.
Elle m’a regardée sans répondre et puis m’a finalement dit :
- « Vous n’êtes pas la seule à prétendre être quelqu’un d’autre, si vous voulez en savoir plus adressez-vous à votre imaginaire. »
Et puis, elle a disparu sans que je puisse lui répondre.

- « Qu’est-ce qu’elle a bien pu vouloir dire ? » Se demanda Dean à voix haute
Mais même moi je n’en savais rien… Nous sommes ressortis et alors que nous retournions vers le tram, bredouille et que je réfléchissais à cette énigme, une étrange enseigne m’est apparu « Imaginarium, un lieu où les rêves prennent vie », alors l’imaginaire c’était une énigme ? Un magasin de jouet… L’auteur qui me faisait parvenir ces œuvres avait-il quelque chose à voir avec ce magasin ?
- « Dean, tu penses à la même chose que moi ? »
- « Je te suis » me répondit-il.
Nous avons poussé la porte. C’était un magasin de jouet tout ce qu’il y a de plus ordinaire… Peut-être que nous devenons paranoïaques, Dean comme moi… J’ai sorti le livre de Wendy Delorme, je le regardais sans comprendre les mystères qui l’entourait. Je l’ai ouvert, quel pouvait être le lien entre cet auteur et moi ? Essaie-t-il de s’adresser à moi par ces romans ? Mais dans quel but ? … Je feuilletais les pages de ce roman, quel imaginaire pouvais-je invoquer ? Le seul que j’ai jamais créé c’était celui de mon roman… L’histoire de mes personnages, qui parfois me semblait si réelle, comme si en fermant les yeux, ils allaient m’apparaître. Je refermais le livre et relevait la tête, prête à dire à Dean que nous partions. Mais… Nous étions déjà partis…
Autour de moi se dessinait le royaume Sélénite, le royaume de mon livre.

- « J’ai enfin réussi à te ramener. »
C’était la voix de Dean, je me suis retournée vers lui, incrédule, ce n’était pas lui. C’était le second personnage principal de mon roman, Daiki.
- « Comment est-ce que tu- !? C’est impossible… »
- « Alors, tu n’as vraiment aucun souvenir ? Je sais que ça peut t’apparaître comme un rêve mais nous existons bien, le monde que tu as décrit dans tes livres, tes personnages, y compris le tien. »
Je le regardais stupéfaite, le livre entre mes doigts avait changé, ce n’était plus celui de Wendy Delorme, mais mon roman… Dean m’a pris le bras et m’a amené jusqu’au point d’eau le plus proche. Et c’est là que je l’ai vu, le visage de mon personnage de roman, se reflétant sur l’eau, ses cheveux argentés, ses yeux vairons pour l’un vert et l’autre violet. J’ai touché mon visage et j’ai vu mon personnage faire la même chose. J’étais devenue Anane Sanny.
- « Comment est-ce possible ? Il y a quelque secondes nous étions dans le magasin de jouet, j’étais moi et tu étais Dean… » Murmurais-je
- « Tu le sais très bien toi-même, n’est-ce pas ? A chaque fois qu’un yokaï passe un portail vers notre monde, son apparence démoniaque reprend le dessus sur son apparence humaine… »
- « Mais comment est-ce que tout cela est possible ? … »
- « Tu as pensé à nous en ouvrant le livre de Wendy Delorme, tu as fait appel à ton imagination, le portail, c’est lui. » Me dit-il en montrant mon roman.
- « Le roman de Wendy Delorme est devenu mon roman car c’est un portail vers le monde des yokaï ? »
- « Ce n’est pas tout à fait exact, ce roman n’a jamais réellement existé, je n’ai fait que l’inventer pour t’amener ici, c’était une illusion, ton roman était la porte et ton imagination la clé pour venir ici… Il fallait que tu doutes de la réalité pour venir. »
- « C’est impossible… Je n’ai jamais fait qu’inventer cette histoire, l’écrire sur du papier… »
- « Je pense que malgré ta perte de mémoire, qui t’empêche de te rappeler de nous, tu as toujours des souvenirs de nous dans ton inconscient qui t’ont poussé à écrire notre histoire. A partir de là, j’ai tout fait pour t’attirer ici. Je t’ai envoyé tous ces livres, j’ai demandé à la vendeuse d’échanger le tien, j’ai fait en sorte de t’intriguer pour mieux t’attirer ici. En tant que collègue, il était simple de t’envoyer un mail, d’influencer la vendeuse et de faire courir des rumeurs à l’oreille du chef… Et puis, il ne me restait plus qu’à ouvrir un portail vers notre monde et t’y conduire. »
- « C’était toi ? Depuis le début ? Alors tous ces livres n’étaient que des illusions créées pour m’amener ici ? Mais enfin, tu essayes de me faire croire que les yokaïs existent réellement ? »
Ce à quoi, il répondit en transformant le livre entre mes mains. Il devient le dernier que j’avais lu, de Wendy Delorme….
- « Alors, ces livres n’existaient pas ? Tu les as créés de toute pièce ? Tu étais avec moi, durant tout ce temps… ? Mais pourquoi … ? »
- « Je ne t’ai jamais quitté. Tu as décrit notre histoire, tu devrais savoir ce que je ressens pour toi… »
Oui, je le savais, dans mon roman, Anane et Daiki étaient des amants maudits, tout le monde essayait de les séparer, mais personne n’y était arrivé… Alors, c’est pour cette raison que je me sentais si mélancolique vis-à-vis de mon livre ? C’était pour cette raison que toutes ces choses étranges m’arrivaient ?
- « Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce que je vous ai oublié ? »
Daiki m’a regardé, il avait l’air désespéré…
- « Si je te le disais, tu repartirais immédiatement… » Murmura-t-il
- « Daiki, tu dois me le dire, je t’en prie, tu ne m’as pas amené ici uniquement pour me montrer le paysage, n’est-ce pas ? »
- « Ana, la première fois ça t’a brisé, c’est pour ça que tu es partie… Je ne veux pas à nouveau te perdre. Je suis désolée mais je te ne te dirais rien. »
- « Daiki, je… Je ne sais pas où j’en suis, je ne sais pas quoi penser… »
- « Ana, la seule raison pour laquelle je voulais que tu viennes, c’était pour te voir. Pour que tu saches que j’étais là, que j’étais vivant et que je t’attendais, je t’attendrais toujours peu importe le temps que tu mettras à revenir vers nous. »
Il avait cette manière de fixer les gens, comment aurais-je pu l’oublier ? Ses yeux argentés qui me fixaient avec tellement de gentillesse.
- « Daiki… »
Je me suis rapprochée de lui, il faisait une tête de plus que moi, mais ça ne m’a pas empêché de poser ma main sur sa joue. Comment avais-je pu oublier l’homme devant moi ?
- « Tu m’as manqué, si tu savais à quel point… »
J’ai fermé les yeux, essayant de contenir mes larmes et j’ai senti ses lèvres sur les miennes.
- « Je suis désolé… »
Je me suis réveillée sur mon canapé, chez moi. Avais-je rêvé ? A côté de moi, mon livre, Anane Sanny. Je n’en revenais pas… Tout ce dont je me souvenais, à commencer par mon échange de livre était un rêve… ? Je me suis levée, j’ai cherché les romans dont j’avais fait la critique, aucune trace d’eux… J’avais mal à la tête, comme si elle pesait des tonnes. Je suis allée chercher un médicament dans ma boîte à pharmacie, à la salle de bain. J’allais repartir vers la cuisine pour me chercher un verre, mais je me suis aperçue dans le miroir, tout ce qu’il y a de plus normal, mes cheveux étaient redevenus châtains. A quoi est-ce que je m’attendais ? J’ai bu et je me suis réinstallée sur mon canapé, fixant un point invisible. Tout cela avait l’air si réel… Ce royaume, mon apparence, lui… Et ce sentiment mélancolique qui revenait me hantait, toujours plus fort. J’ai saisi mon roman et j’ai admiré sa couverture, était-ce dans ma tête ou bien… ? Je ne le saurais peut-être jamais… Et voilà, mes larmes surgissent sans que je puisse les arrêter, et retombent sur la couverture de mon roman. Et pendant une seconde, rien qu’une j’ai eu l’impression que ce livre dégageait de la chaleur… Mais c’est impossible, n’est-ce pas ? Alors pourquoi est-ce que me sentais si triste en voyant la dernière page de mon roman ? Anane et Daiki étaient inséparables, oui, mais à la fin de mon roman, Daiki meurt, il se sacrifie pour protéger Anane…

Mais, si cette fin ne me plaît pas, pourquoi ne pas en écrire la suite ? C’est moi qui décide n’est-ce pas ? C’est mon roman. J’ai attrapé un stylo et j’ai écrit à la suite de la dernière page :
« Non, Daiki n’était pas mort, il était bien vivant, mais il avait été capturé par l’ennemi, mais dans quel but ? »
Oui, maintenant j’en avais la certitude, je n’aurais jamais pu inventer cela… Si ce n’était que moi, Daiki et Anane n’auraient jamais été séparé, parce qu’Anane ne pouvait pas vivre sans lui…
« Ne pleure pas, je suis là » Me dit une voix réconfortante en m’enlaçant.
Ces mains que je connaissais si bien était la seule chose qui pouvait me consoler, les mains de l’homme que j’aimais et qui était toujours à mes côtés, même si je ne venais que de m’en rendre compte…